Batterie lourde de la Corvée

(également dénommée batterie du Grand-Hameau)

 

Afin d’interdire l’accès aux plages du Calvados à une éventuelle flotte de débarquement, l’Organisation Todt avait prévu de construire plusieurs batteries d’artillerie lourde dans la Manche sur les sites de Gréville (à l’Ouest de Cherbourg) et au Havre sur les hauteurs de Bléville. Les travaux débutent en Septembre 1943 mais en Décembre, l’O.T. s’aperçoit que les deux chantiers ne pourront être livrés à temps pour le début de 1944, époque probable de l’invasion. Compte tenu de la proximité du site de Gréville avec la Batterie Mirus à Guernesey (3 canons de 306 mm), les travaux de Gréville sont abandonnés au profit de ceux de Bléville. L’artillerie de Marine va y implanter une batterie lourde pour trois canons de 380 mm, destinés à l’origine au cuirassé Jean-Bart (dénomination allemande : 3 x 38 cm K.M. 35/36 (f)).

La portée de ces pièces d’artillerie était de l’ordre de 40 km pour des obus d’un poids approximatif de 500 kg.

Fin 1943, les excavations des futures casemates dont les dimensions s’adaptent aux gigantesques canons sont en cours. Début 1944, seule la casemate au Nord est achevée en ce qui concerne le gros œuvre ; la seconde est en terrassement et la troisième au Sud à l’état de fondations.

Ces travaux colossaux n’échappent pas aux avions d’observation et les alliés voient en cette batterie un danger réel pour la future flotte d’invasion et les troupes devant débarquer sur SWORD Beach à Ouistreham.

Afin de retarder sa livraison et mieux encore pour empêcher toute installation définitive des canons, la position est bombardée dès que les services de renseignements estiment les travaux suffisamment avancés pour que les résultats soient optimaux :

 - le 10 avril 1944, Lundi de Pâques, entre 8 h. 30 et 10 h. 25, soixante bombardiers Marauders accompagnés de Mosquitos déversent 400 bombes de 200 à 400 kg sur le site (275 seulement sont reportées sur " cible "). Quelques dommages sont causés aux installations mais la tourelle la plus au Nord est intacte. Ce sont surtout les portiques de manutention des canons qui sont touchés. L’organisation Todt recense 17 morts, 42 blessés et 7 disparus. Le personnel requis compte 17 ouvriers français morts et 29 blessés ; 5 étrangers sont morts également. A Bléville, les victimes civiles s’élèvent à 24 personnes : les bombes des queues de vagues sont tombées sur les maisonnettes au Nord de l’église…

- le 9 mai, entre 18 h. 57 et 19 h. 15, environ 40 Marauders bombardent à 3500 m d’altitude le site une nouvelle fois. Le débarquement approche et les Alliés savent la position encore exploitable. Cette fois-ci, la tourelle n° 1 est mise hors de service (une bombe a perforé le blindage à l’arrière de la pièce) ; les autres emplacements sont endommagés et à nouveau les énormes portiques devant soulever les pièces d’artillerie pour les poser sur leur berceau. La position est complètement bouleversée et les photos aériennes de ce site nous montrent un paysage devenu " lunaire ".

- enfin le 3 juin, à trois jours de l’invasion, la batterie est à nouveau attaquée par 50 Marauders au cas où les Allemands auraient pu se relever des attaques précédentes… Mais la DCA allemande ce jour-là est très efficace et les bombardiers sont dispersés. La position sera trouvée par les troupes britanniques en Septembre 1944 dans un réel chaos : tout le chantier a été complètement bouleversé au cours des attaques aériennes. Seule la pièce n° 1 a pu être installée et le canon qui n’a pu tirer possède encore son bouchon en bois dans le tube (pour le canon n° 2, le berceau a été amené mais le tube non disposé et l’emplacement n° 3 en cours de fondations). Cette position d’artillerie, connue par les Blévillais et les Havrais sous le nom " Batterie de la  Ferme Saint-Georges " avait été également surnommée " Grosse Bertha "

1945 : emplacement de tir n°1. Le canon de 380 mm dont les dimensions sont impressionnantes est intact. L'impact de la bombe tombée le 9 mai 1944 est visible à l'arrière de la tourelle. Autour, règle le chaos indescriptible d'un chantier abandonné (on distingue au premier plan les panneaux de coffrage du pivot). Les arbres, dont il ne reste que les troncs, témoignent de la violence des attaques aériennes.

 

1°) Bunker de commandement

 

Le premier ouvrage que nous proposons de faire visiter de cet important site d’artillerie est le poste de commandement, situé au bord de la falaise. Nous ne possédons que peu d’informations sur ce bunker hormis celles apportées par les photos aériennes qui permettent de conclure que ce blockhaus est identique à ceux construits pour les mêmes positions d’artillerie (type S 446, numéro de série de construction). En 1944, le poste de commandement n’était pas achevé et son télémètre, devant être installé à son extrémité Ouest (expliquant la forme triangulaire du bunker) non approvisionné.

 

Ces éléments nous sont confirmés par les clichés aériens permettant d’apercevoir l’importante réservation prévue pour le télémètre et les terrassements effectués sur la falaise de chaque côté de l’ouvrage : en effet, afin de dégager au mieux la vue pour l’appareil d’observation et de mesure, la falaise avait été " écrêtée " à son sommet.

 

Cet ouvrage aujourd’hui recouvert de terre, est situé sur le parcours du futur " Sentier du littoral " et pourrait être mis à jour en quelques coups de pelles. Dans la mesure où il a été fermé peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale, il est probable d’autre part, que son ouverture nous permettent de trouver des vestiges subsistants à l’intérieur, pouvant nous informer sur l’organisation et le fonctionnement de tels postes de commandement. Sur cet emplacement aussi, des panneaux explicatifs seraient des " guides " indispensables pour bien comprendre le dispositif important envisagé d’être mis en place sur ce plateau par la Marine Allemande.

2°) Casemate pour canon de 380 mm du type du cuirassé Jean-Bart

La casemate de l’emplacement n° 1 est située le long du chemin menant à la falaise en bordure des terrains Sud de l’aéroport. Elle appartient actuellement à Mr. Paimporet, ferrailleur brocanteur qui a établi à cet endroit une casse automobile.

Lors d’une inspection en 1946 des " Services Techniques et Armes Navales ", l’emplacement n° 1 est le plus achevé des trois : le canon a été complètement installé sous sa tourelle en acier ; l’ouvrage en béton en arrière est terminé pour le sous-sol mais les superstructures devant englober la pièce d’artillerie pour transformer l’ensemble en casemate ne sont pas terminées.

Cette pièce d’artillerie portait le n° R 1938 n° 5. Après sont sabotage par la marine, elle avait été abandonnée à Saint-Nazaire en 1940 lors du départ du cuirassé Jean-Bart. Réparée par les Allemands aux chantiers Hanomag à Hanovre, elle a fut amenée par voie ferrée jusqu’à la halte de Beaulieu, montée sur un chariot à plusieurs bogies et conduite sur le site par Octeville-sur-Mer qu’elle traversa (certains habitants se souviennent encore des difficultés rencontrées par les Allemands pour faire tourner cette pièce de 18 m dans le village…) puis livrée jusqu’à son emplacement grâce à une piste en béton construite à cet effet. La tourelle en acier qui protégeait la pièce d’artillerie avait une épaisseur moyenne de 5 cm.

L’ouvrage en béton (visible de nos jours), est du style de ceux de la batterie Mirus à Guernesey ou de la batterie de la pointe de Grave à Royan : le canon est monté sur un pivot en béton derrière lequel un boyau circulaire permet d’amener les munitions sur des chariots roulants pour être élevés sous la tourelle. En arrière de la pièce d’artillerie, plusieurs grandes salles abritent les munitions. Cet ensemble ne pourrait fonctionner sans énergie électrique : des câbles placés dans les fondations relient le canon à la salles des machines où plusieurs groupes électrogènes assurent la production d’énergie. Enfin, on trouve en extrémité d’ouvrage une salle destinée au système de ventilation et une chaufferie. Il existe également un logement dans l’ouvrage pour la troupe.

3°) Infirmerie de la batterie : Maison de l’Enfance rue Saint-Just à Bléville

Une position d’artillerie de cette importance possédait de nombreux autres ouvrages que ceux destinés aux canons, au stockage des munitions, etc....

Toute une partie comprenant des ouvrages dits " passifs " avait été construite et nous trouvons ainsi à l’est du carrefour de la D 940 et de la rue Saint-Just : un ouvrage réservoir d’eau du type Regelbau Z 196 (n° du standard de construction allemand) pour assurer un stockage suffisant en cas de rupture des canalisations, un centre de transmission du type Regelbau 618 (désormais recouvert de terre dans le lotissement pavillonnaire au Sud de la rue Cauchoise) et un peu plus loin, une infirmerie à deux niveaux du type Regelbau 118.

Ce type d’infirmerie était destiné essentiellement aux batteries d’artillerie lourdes (comme celle de la batterie Lindemann à Calais). Elle accueillit plusieurs fois en 1944 des soldats et ouvriers requis, blessés au cours des bombardements massifs des 10 avril et 9 mai.

L’ouvrage aujourd’hui : l’infirmerie qui fut momentanément accessible en 1988 pendant les travaux d’aménagements de la Maison de l’Enfance, est aujourd’hui à nouveau recouverte de terre. Cette obstruction est en fait, un excellent moyen de conservation car l’ouvrage, qui possède deux niveaux, est resté en parfait état. Le rez-de-chaussée est consacré aux sas de décontamination, salles de soins, salles de repos pour le personnel médical, salle de stockage des médicaments et pansements, bureau, réservoir d’eau (cuve encore en place), etc. Au sous-sol, les pièces visibles étaient affectées à la ventilation (appareils toujours fixés au mur), au chauffage (chaudière et pièce stockage de charbon encore garnie du combustible), local électrique muni de ses tableaux.

Ce qui en fait un ouvrage unique au Havre, tant par le bunker en lui-même que par son état de conservation.

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