SEPTEMBRE 1944, jours d'apocalypse…


VENDREDI 1er SEPTEMBRE 1944


La presse publie l'ordre d'évacuation. Les habitants désirant partir s'empressent d'obtenir leur fiche d'évacuation puis attendent patiemment devant les magasins des commerçants réquisitionnés pour prendre possession des denrées qui leur sont attribuées et de celles qui sont libres.
Mais d'autres sont bien décidés, malgré les risques encourus à rester au Havre pour des raisons personnelles et confortés dans leur décision par le texte du tract diffusé antérieurement par le réseau Vagabond Bien Aimé, leur demandant de rester chez eux (voir p. 549). Après avoir détruit certains de leurs dépôts, les Allemands commencent à anéantir l'infrastructure du port : quais, grues, écluses, digue, sont dynamités. 
Dans la journée, les Alliés pénètrent à Veules-les-Roses, Yvetot, Bolbec, Saint-Romain de Colbosc, Saint-Aubin-Routot, Sainneville, Manéglise et Angerville-l'Orcher.


SAMEDI 2 SEPTEMBRE 1944


Le premier engagement entre les troupes britanniques et allemandes pour la libération du Havre se livre à Gainneville. Après un violent combat, commencé en fin d'après midi, les Anglais parviennent le soir au niveau de la mairie après avoir acquis les terrains au Sud de la R.N.14 (actuelle N.15). Les troupes alliées se sont heurtées avec des éléments du 5. Schicherung Regiment (arrivé au Havre fin août) qui se retranchent ensuite dans la forteresse. 
Vers seize heures, sur ordre du colonel Wildermuth, une batterie allemande envoie quelques salves d'obus sur la partie sud de Montivilliers : des résistants ayant capturé trois soldats (à moins qu'ils aient accepté de se rendre), ce tir de représailles éxécuté en conséquences, coûte la vie à deux personnes et en blesse douze. Il en est de même au Fontenay, où d'autres résistants ont pris les armes d'un groupe de soldats. 
Dans la ville, de nombreux trous individuels sont creusés pour la défense des points stratégiques. Tandis que sur le port, la démolition des ouvrages portuaires continue. De son logis en haut de la rue Pasteur, M. Patouillard observe entre treize heures et dix-huit heures de nombreuses explosions dans la direction du pont V, du quartier de l'Eure, en arrière du quartier Saint-François.
La distribution de nourriture destinée aux personnes qui évacuent se poursuit, comme le témoignent les files d'attente devant les commerces réquisitionnés.
Le colonel Wildermuth est certain de l'imminence de l'attaque du camp retranché, où environ 60 000 habitants sont restés. Ils sont pour lui une "charge" et un risque : problème d'approvisionnement en nourriture, présence parmi cette population de résistants qui harcèleront ses troupes. Déjà exaspéré par leur refus de partir comme il le leur avait conseillé le 19 août, il décide de raccourcir pour certaines zones le délai de leur évacuation forcée. Il convoque le maire et le sous-préfet à dix-neuf heures et les avise des quartiers à évacuer pour le lendemain 3 septembre à seize heures : 
- sur le territoire des communes de Sanvic, Bléville, Sainte-Adresse et Octeville-sur-mer, toute la partie incluse entre la mer et la rue Cochet, la place de l'église de Sanvic, la rue de la République (actuelle rue I.J.-Curie et D147) jusqu'au calvaire d'Octeville ; 
- sur le territoire du Havre, tout ce qui est situé à l'Est du boulevard de Graville, de la rue Montmorency, la place de la Liberté, les rues Coquelin Ainé, Louis Blanc en partie (actuelle P.-Mendès France) jusqu'à l'entrée de la forêt de Montgeon (porte des Paons) ;
- Harfleur.
L'évacuation se fera pour les habitants de l'Ouest par la sortie d'Octeville, pour ceux de l'Est, par la sortie d'Harfleur. Dans l'hypothèse où des combats auraient lieu sur ces trajets, l'ordre d'évacuer serait suspendu.
A quelques kilomètres du Havre, Saint-Valéry-en-Caux, Fécamp, le Fontenay et Rolleville sont libérés sans combats... 

DIMANCHE 3 SEPTEMBRE 1944

En début de matinée, les affiches annonçant les dernières directives du colonel Wildermuth sont apposées mais voyant approcher la libération, beaucoup d'habitants ne se sentent pas prêts à les suivre. Entre onze heures et douze heures, les Allemands effectuent un nouveau tir de représailles sur Montivilliers. 
L'après-midi, au quartier général du commandant du 1st British Corps à Foucart, se tient une réunion cruciale de préparation des actions à entreprendre pour l'investissement de la forteresse. Des représentants de toutes les forces engagées sont présents sauf celui du Bomber Command, alors qu'il est grandement question de bombardements. Le général Crocker fait un résumé de la situation puis précise qu'un assaut de grande envergure ne pourra, matériellement parlant, avoir lieu avant le 8 septembre. "Il n'est pas nécessaire de lancer une attaque à grande échelle, mais il est nécessaire de prendre les mesures pour monter une telle attaque", précise-t-il, convaincu que l'Allemand capitulera.
Les zones à bombarder apparaissent clairement au cours de cette réunion, et un nom de code est donné pour chaque attaque : "Astonia One" pour le 5, "Astonia Two" pour le 6. Ces bombardements pouvant être annulés à la dernière minute par message. A ce moment, le seul espoir d'éviter la catastrophe, est une capitulation de l'ennemi. 
Pendant ce temps, à Gainneville, les troupes anglaises lancent un assaut dont l'objectif principal est le Mont-Cabert. La possession de cet emplacement surplombant l'important goulet de la Brèque, entrée du Havre, est un atout très important pour la suite de l'investissement. Mais devant la forte résistance des défenseurs allemands, appuyés par les tirs des batteries de Caucriauville, une partie seulement de l'avance envisagée est réalisée et l'objectif convoité n'est pas atteint. Les Britanniques perdent dix soldats au cours de cette échauffourée. Trente-cinq sont blessés.
Aux tirs des batteries de Caucriauville ont répondu ceux des canons britanniques. De nombreux obus s'abattent à la Brèque, sur le boulevard d'Harfleur (actuel boulevard de Léningrad), route nationale (actuelle rue de Verdun). De même, d'autres obus tombent à Octeville et entre ce village et Bléville. Les réfugiés quittant l'agglomération se trouvent donc pris sous ces tirs sur le parcours qui leur a été imposé. 
Apprenant ces faits, le maire accompagné du sous-préfet tentent de rencontrer le colonel Wildermuth pour lui rappeler sa promesse d'arrêter l'évacuation si les réfugiés se trouvaient dans les zones de combat. Vers seize heures, il les informe qu'il annule l'ordre d'évacuation. Le maire, à son retour, annonce lui même la nouvelle à la population. 
Dans la soirée, à Gonfreville l'Orcher, dans la maison du maire M. Feuillas, située le long de la R.N. 14 (actuelle N 15), un ultimatum est adressé aux parlementaires allemands de la garnison du Havre avec menace de bombardements aériens et navals pour les jours suivants en cas de refus.
Sur le port, les explosions se succèdent toute la journée. M. Patouillard en situe en arrière du bassin de la Citadelle, du Pont V, des bâtiments de la Cie Électro-Mécanique, au môle oblique. Comme de nombreux havrais, sa maison tremble, ses vitres vibrent.
Aux alentours du Havre, Montivilliers et Cauville sont libérés. L'étau se resserre.


LUNDI 4 SEPTEMBRE 1944


En début de matinée, le colonel Wildermuth refuse l'ultimatum qui lui a été proposé, mais il demande vingt-quatre heures de suspension des hostilités pour évacuer les civils. Celle-ci lui est refusée.
Dans l'après-midi, l'artillerie britannique tire sur la ville atteignant les quartiers Sainte-Marie, Montmorency, Graville, Aplemont et Frileuse. Fontaine-la-Mallet reçoit ses premiers obus.
Toute la journée, les explosions des destructions du port sont presque ininterrompues. Elles s'achèvent vers 21 h. 15.

Le Petit Havre publie : " " l'évacuation est suspendue "

MARDI 5 SEPTEMBRE 1944 : Jour d'apocalypse...

La ville est calme, dans les rues ne circulent que quelques personnes qui se rendent chez les rares commerçants ouverts ou aux organismes municipaux d'entr'aide ou de renseignements. 
Les Havrais et leurs voisins des communes limitrophes savent maintenant que le camp retranché est fermé et qu'ils sont enserrés à l'intérieur. Dans la matinée, des tirs d'artillerie de gros calibre sont entendus. Une étrange atmosphère règne, faite d'espérance mêlée de crainte. Certains commencent à regretter de ne pas être partis. 
Quelques minutes avant dix-huit heures, des avions marqueurs lancent leurs fusées repères. Ils sont suivis des premiers bombardiers. Pendant deux heures, le sifflement incessant des bombes, leur éclatement suivi du déchirement de l'air qu'il provoque, le fracas des immeubles qui s'effondrent vont se succéder, interrompus par de courtes accalmies entre les six vagues de bombardiers.
Tout ce qui peut servir de refuge, les caves, les abris sont secoués par les explosions ; les personnes qui s'y terrent sont paralysées par l'affolement, la peur, l'angoisse. Dans le centre-ville, peu de ces refuges peuvent résister au pilonnage, ensevelissant leurs occupants sous les décombres.
Ceux qui réussissent à s'en extraire, et les personnes qui essaient de fuir hors de cette zone d'apocalypse le font par les rues défoncées, sous la menace des bombes, d'immeubles qui s'effondrent, des chutes de débris enflammés, dans un air irrespirable. Combien sauveront leur vie ?
Les bombes incendiaires enflamment les immeubles puis ceux-ci communiquent le feu aux habitations voisines, les quartiers bombardés deviennent un immense brasier. 
Attisé par un vent d'Ouest qui devient tempête en fin de soirée, le feu franchit la rue Thiers (actuelle avenue R.-Coty) et attaque l'extrémité des rues J.-Lecesne, L.-Kitchener, A.-France, Madame Lafayette. Plus au Sud, il a déjà atteint les places Carnot (actuelle L.-Meyer) et J.-Ferry (actuel emplacement de la Chambre de Commerce et d'Industrie). Il risque de s'étendre encore vers l'Est. 
Lorsque la tourmente le permet entre les vagues d'avions puis après le bombardement, les secouristes de toutes les organisations se précipitent pour essayer, quand l'accès est possible, de sauver des personnes, de délivrer celles enfermées dans les caves et qui appellent, de transporter des blessés à l'Hospice Général ainsi qu'aux postes de secours, dont certains devront d'ailleurs être évacués devant l'avance de l'incendie.

Un avion de la R.A.F. photographie la ville devenue une fournaise après le bombardement. L'énorme panache de fumée, symbole de la mort, s'élève dans le ciel. La chaleur dégagée par les incendies transportera des débris de lettres, de papiers partiellement consumés qui retomberont en ville et dans les communes environnantes à l'Est du Havre notamment à Saint-Romain de Colbosc.
348 avions : 313 Lancasters et 30 Mosquitoes, 5 Short Stirlings des groupes 1, 3 et 8, ont lâché 1 880 tonnes de bombes, dont 60 tonnes de bombes incendiaires sont lancées au cours du raid. 



5, 6 septembre, pourquoi raser une ville et tuer ses habitants ?


Le 20 février 1995, le major DRC Engleheart, officier d'état-major de la 49ème division chargé du renseignement lors du siège du Havre, écrivait au maire de notre ville à la suite de l'émission de la B.B.C. diffusée en octobre sur la bataille du Havre. Dans ce reportage, les auteurs britanniques ont tenté de déterminer, avec la participation de témoins éminents, la part de responsabilités respectives dans le massacre des civils lors des bombardements des 5 et 6 septembre 1944. Le D.R.C. Engleheart, mettait en cause le témoignage du Lt. Colonel de l'époque Jelf, son chef (également chef d'État-Major du général Barker, commandant la 49ème division), qui participa aux pourparlers avec la délégation allemande le 3 septembre au sujet de la reddition de la garnison. Dans son témoignage, le général Jelf reconnaît la responsabilité sans équivoque des décisions anglo-canadiennes qui ont amené au massacre des civils lors des bombardements sur des quartiers habités.
Personnellement, ayant connu ces événements à l'âge de 17 ans, en qualité de brancardier de la Défense Passive au poste Paul Bert de Sanvic (rasé le 5 septembre), j'ai vécu la solution finale avec mes concitoyens de feu dans la poussière, la faim, l'abominable odeur du sang et des cadavres, le fracas des bombes et des obus, les cris et gémissements de ces pauvres gens terrorisés, les sanglots des femmes et les larmes silencieuses des hommes qui ne savent plus où se réfugier. Comme une marque au fer rouge, cette abomination s'est plantée dans nos cœurs et nos souvenirs. Très tôt après le siège du Havre, je m'étais juré que je chercherais les motifs pour lesquels notre ville et tant de ses habitants avaient été sacrifiés apparemment sans raison valable. 
L'histoire donne rarement ses raisons rapidement. Ceux qui se targuent de découvrir facilement et rapidement l'origine complexe de ces événements se trompent souvent. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que la plupart des archives ne s'ouvrent qu'après des délais assez longs de 25 à 100 ans et parfois jamais...
Dès le siège, les explications ont été nourries par la passion, les sentiments et l'ignorance, il est vrai que l'événement était tellement inimaginable qu'il était difficile de découvrir la moindre raison valable le justifiant. Et pourtant... 

Souvenons-nous de l'essentiel. Montgomery est déjà en Belgique en septembre 1944. Patton, en offensive vers l'Est, est proche de Reims. Les deux généraux s'acharnent auprès du commandant en chef Eisenhower pour obtenir la priorité des approvisionnements en essence. Mais il y a de sérieux ratés comme ils l'avaient prévu l'un et l'autre dans la logistique. Les deux manquent de carburant. Trop vite...trop rapide l'offensive !
Le plan d'avancement a trente jours d'avance et de plus, les unités sont à 400 km de leurs sources de ravitaillement. Mais on ne veut pas perdre ni un jour, ni une heure pour supprimer ce déséquilibre. De la rapidité des unités dépend le passage des frontières du Reich avant que l'armée allemande n'ait pu se ressaisir. Par conséquent, il faut un plan d'eau abrité et ce dernier est le port du Havre qui permettra le jour même de son dégagement de commencer à approvisionner le zone Nord en essence. En outre, l'accès de la voie fluviale jusqu'à Rouen et Paris sera, ipso facto, ouvert. La logistique au niveau du 1st British Corps, et la mise en place de toutes les unités, fixe la possibilité de l'assaut à partir du 8 septembre et l'exploitation du port le 10...
Nous ne sommes que le 3 septembre. En attendant donc la mise en place, comment agir pour essayer de faire capituler le colonel allemand et gagner 5 à 6 précieux jours ? La réponse se trouve dans la conférence qui a lieu le 3 au quartier général tactique du 1st British Corps, conférence historique. Il y a là, toutes les "huiles" autour du lieutenant général Crocker : les représentants du corps, de la Royal Navy, de la Royal Air Force, de la 1ère Armée canadienne, de la 79th Armoured Division et même la présence du major Long qui appartient à la branche "Psychology and Psychological Warfare". En revanche, les représentants du Bomber Command sont absents alors qu'ils avaient été invités à participer et que l'essentiel du jour va les concerner... Le général Crocker commence par faire un résumé de la situation : Le Havre est tenu par une garnison estimée entre 3 500 et 5 000 hommes, nombre devant être considéré comme parfaitement inadéquat pour une défense convenablement organisée et dont le moral des combattants est jugé mauvais. Le général poursuit son exposé en expliquant que les positions avancées autour du Havre se sont "effondrées" dès leur attaque. Il fait remarquer cependant, que la logistique l'a averti qu'aucun assaut organisé ne pourrait être envisagé avant le 8 septembre : il manque encore la 147ème brigade, arrêtée par la Seine, les Higlanders de la 51ème division sont encore à Saint-Valéry-en-Caux. "Je crois qu'il n'est n'est pas nécessaire de lancer une attaque à grande échelle, mais qu'il est nécessaire, en revanche, de prendre les mesures indispensables pour monter une attaque à grande échelle. Ces mesures importantes impliquent des efforts coordonnés et voici ce que je propose." Suit un raisonnement sur lequel l'auteur réclame au lecteur une infinie attention, car ce raisonnement contient toute la clé du drame qui couve. Chacun des mots qui suit est extrait du compte rendu officiel de la conférence, rédigé par le brigadier Mann à l'attention du général Crerar, commandant la 1ère Armée canadienne. "Je propose d'inviter la garnison ennemie à se rendre, non sans l'avertir, faute de son acceptation, d'une puissante attaque par bombardiers dans un délai de 48 heures, sauf si l'offre de reddition est, entre-temps, acceptée. Ce bombardement effectué, une deuxième proposition de reddition sera présentée, et à nouveau, assortie d'un nouveau bombardement. Et si, après ces deux avertissements, suivis par deux attaques de bombardiers, l'ennemi ne réagit pas, il ne nous restera plus qu'à l'avertir qu'il aura à subir le choc d'une attaque terrestre à grande échelle, appuyée par la Royal Air Force et la Royal Navy." La discussion alors s'engage, non sur les principes qui semblent acceptés, mais sur les détails des mesures. Le group-captain AHS Lucas, premier concerné en tant que représentant de l'Allied Expeditionnary Force (force tactique appuyant les unités au sol) se contente de dire qu'il transmettra à Stanmore, quartier général du Bomber Command, les décisions prises. Trois décisions. La première, les cibles. Elles sont déterminées par onze groupes de coordonnées, certaines de huit chiffres (ce qui dit la précision) à raison de sept quartiers généraux et de quatre emplacements cernant ou définissant des concentrations de troupes. Ces coordonnées définissent la zone du centre-ville qui sera bombardée le 5. Pourquoi ces cibles ? Le lieutenant-général Crocker ne le dit pas. Deuxième décision, les 31 escadrons de l'Air-Vice Marshall(composés de Mustangs, Typhoons et Spitfires) sont spécialement affectés aux opérations de la 1ère Armée canadienne. Le Bomber Command déterminera les aiming points (c'est-à-dire les points centraux des zones à atteindre par les bombes) qui seront sélectionnés par le 1st British Corps. Troisième décision, elle résulte de l'expérience acquise en Basse-Normandie en matière d'appui aérien de forces au sol. A savoir la confirmation ou l'annulation des raids à l'ultime minute. Celui du 5 (Astonia One) sera notifié au Bomber Command le 4 à midi, celui du 6 (Astonia Two) sera notifié le 5 à midi, Oranges pour "Oui", Lemons pour "Non", le tout par radio. "Et nous verrons après cela, s'il y a lieu, comment nous lancerons notre attaque terrestre" conclut le commandant du 1st British Corps. En cet instant de la conférence, l'espoir d'éviter le recours aux raids aériens se traduit par l'adoption de la phrase-code : "Astonia. Ennemy capitulated. Cancel Bombing." Forces Astonia, l'ennemi a capitulé. Annulez bombardement... Toute la bataille du Havre est dans ce texte. Il s'appliquera malgré les variantes avec rigueur pour l'essentiel. Ce qui fait qu'encore à l'heure actuelle, l'exemplaire méthodologie appliquée dans cet assaut reste, dans la plupart des grandes écoles militaires britanniques et étrangères, un thème d'enseignement, sans parler toutefois de l'énorme bavure du 5 septembre qui a tué tant de civils Havrais...
Dès le 3 septembre au soir, le général brigadier J.F. Walker qui commande la 146ème brigade, a la charge d'aller demander par mégaphone aux Allemands de bien vouloir se rendre à une conférence pour traiter d'une éventuelle reddition. Les Allemands se rendent au rendez-vous vers 21 heures. Cessez-le-feu le temps des pourparlers. Après notification des conditions, les Allemands vont demander que les civils restés au Havre et dans les environs puisssent être évacués les 5 et 6 septembre, en cas d'impossibilité de les regrouper dans une zone où il n'y aurait pas de troupes défensives allemandes. Il est probable que ce souci affiché pour la population civile fera croire aux Britanniques que l'Allemand manque de détermination. Début d'un bras de fer psychologique qui figera des décisions terribles pour les Havrais. 
Le lendemain matin, à l'heure limite de l'ultimatum, ce sera un "non" réciproque. Ils sont conscients de l'enjeu, mais savent aussi ce que donnera ce qui deviendra pour les Havrais, le seul et inoubliable souvenir du siège et de la libération. A tel point qu'il semble bien que l'ordre de décollage attend l'après-midi du 5 septembre. En outre, lorsque l'information que l'ordre est donné arrive du 1er Corps d'Armée aux divisions, le général Buble Barker qui commande la 49ème division va supplier le général Crocker "de ne pas faire cela", car ils ont les moyens de prendre la ville sans avoir recours à ces bombardements d'intimidation. "L'histoire nous jugera sévèrement" conclut-il... En vain les supplications des subalternes, c'est au niveau le plus haut que la décision est prise, à savoir Montgomery. L'ordre est maintenu. Le 5 septembre, de 17 h. 45 à 20 h. 00, le centre-ville est rayé de la carte... Le lendemain matin, malgré les demandes pressantes des autorités religieuses auprès du colonel allemand, de se rendre pour éviter un massacre total, ce sera à nouveau un "non". "Vous aviez à partir fin août lorsque j'en ai donné l'ordre et les Havrais n'ont pas voulu... Puis ce sont les Anglais qui ont refusé lorsque je leur ai demandé l'évacuation. Je n'y suis pour rien." confirme le colonel Wildermuth, "Je me bats."
L'analyse ci-dessus, qui n'a été contestée jusqu'à maintenant par qui que ce soit, expose le mécanisme qui, dans l'ensemble du plan de l'assaut projeté vers la frontière allemande en septembre 1944, a amené l'État-Major Allié à adopter une méthode pour s'emparer du port du Havre rapidement et faire capituler la colonel allemand dans des délais plus courts que ceux prévus, l'opération militaire terrestre ne pouvant commencer, de toutes façons, que le 8 septembre (la météo ne permettra pas, de plus, de commencer avant le 10...). Urgence donc, comme nous l'avons exposé sur le fait que la lourde pénurie d'essence bloquera l'offensive américaine vers l'Est dans la région de Reims et celle des Britanniques et Canadiens en Belgique près d'Anvers. La réponse à cette question n'a pu trouver sa conclusion qu'en 1995, lorsque Eddy Florentin, auteur du livre "Le Havre 44 à Feu et à Sang" a fait paraître la quasi totalité du rapport de la réunion d'État-Major qui eut lieu le 3 septembre au quartier général tactique du 1st British Corps.

MERCREDI 6 SEPTEMBRE 1944


Pour combattre l'incendie consécutif au bombardement du 5, poussé vers l'Est de la ville par le vent, les pompiers l'attaquent à partir de la rue Mal Galliéni. Ils s'alimentent en eau dans le bassin du Commerce à l'aide de fourgons pompes et de fourgons relais, mais ne peuvent la puiser à marée basse. Avec acharnement, ils combattent toute la nuit ; épuisés, ils réussissent néanmoins dans la matinée à arrêter la progression des flammes. Leur tâche n'est pas finie, pendant plusieurs jours encore, ils devront éteindre des foyers qui reprennent et noyer des décombres.
Les services municipaux installés provisoirement au Lycée de Garçons rue Ancelot (actuel lycée François Ier) dans le plus grand dénuement en matériel, tentent de subvenir aux besoins urgents des sinistrés : formalités administratives, recherche de logement, établissement de listes pouvant permettre aux familles de retrouver des personnes disparues.
En ville où règne une tenace odeur de plâtre, de fumée, de bois consumé, des maisons achèvent de brûler, ailleurs le feu couve sous l'amoncellement des décombres. Dans les ruines, notamment celles du Grand Théâtre où sont ensevelis de nombreux résistants, des sauveteurs espèrent trouver des survivants qu'ils transporteront par des rues défoncées vers les postes de secours. Il en est de même à l'emplacement du café "Guillaume Tell" (21, place de l'Hôtel-de-Ville) où dix Équipiers Nationaux sont sous les décombres. Les corps des victimes, les débris humains sont enterrés au plus près, soit au square J.-Jaurès (actuel square Saint-Roch), place Gambetta (actuelle place du Général de Gaulle), ou sous les pelouses de l'hôpital Pasteur (actuel centre P.-Janet).
D'autres personnes cherchent également dans les ruines : les sinistrés. Le visage tourmenté, ils savent qu'ils ne retrouveront aucun vestige de leur logis, mais ils essaient quand même d'en situer l'emplacement. "Sinistrés total", il ne leur reste rien, sauf la vie...
A dix-huit heures, les avions marqueurs arrivent sur la ville et lâchent leur fusées repère. C'est le deuxième bombardement de terreur qui commence*. La cible comprend une partie de la forêt de Montgeon, les quartiers de Frileuse, Aplemont, Caucriauville.
*311 Lancaters, 30 Mosquitoes et 3 Short Stirlings bombardent la ville haute. 1 504 tonnes de bombes, dont 25 tonnes de bombes incendiaires sont lancées au cours du raid.

Pendant une heure trente, les bombes vont s'abattre sur cette zone, et bien au-delà. Dans les caves de leur maisons ou les abris construits dans leurs jardins, à l'abri chirurgical du Bois Cody, aux grottes du cimetière de Graville, les habitants voient leur fin arriver. C'est à leur tour de subir le sifflement sinistre des bombes, les terribles secousses de leurs explosions, d'entendre maisons et pavillons s'effondrer, respirer l'odeur des gravats et de l'incendie. 
Et un drame va se produire au tunnel Jenner lorsqu'une bombe tombe sur l'entrée de la galerie Ouest, en construction, sans issue, où des personnes affolées se sont réfugiées malgré l'interdiction d'y entrer. Dès la fin du bombardement, des ouvriers travaillant à ce chantier et des bénévoles, vont tenter d'accéder à cette galerie en creusant un puits pour atteindre son sommet. 

Dans les ruines du Grand-Théâtre photographié depuis la rue de Paris, quelques personnes tentent de retrouver des survivants.


L'abbaye de Graville après le bombardement du 6 septembre. Une partie du chevet s'est effondré, la toiture gravement endommagée. Le cimetière est en grande partie bouleversé, de nombreuses sépultures sont brisées, renversées.


Rue des Lauriers. A gauche, l'école des garçons ; à droite, l'extrémité de l'école des filles. Dans l'intervalle se trouve de nos jours la rue des Hortensias.


7 - 8 - 9 SEPTEMBRE 1944
Jeudi 7 septembre


La pluie tombe toute la nuit du 6 au 7. Au tunnel Jenner, l'équipe de sauveteurs creuse dans la pénombre et le sol boueux. Un puits en forme de cône renversé d'environ six mètres de profondeur est réalisé. 
Ils atteignent le plafond de la galerie vers six heures. 
Après avoir découpé un trou dans le bois du coffrage, deux d'entre eux pénètrent à l'intérieur et trouvent les réfugiés sans vie, certains écrasés par les effets de la bombe, les autres asphyxiés. Il n'y aura que six rescapés, trois cent dix-neuf morts seront dénombrés. 
Sous la très forte pluie, par moments torrentielle, d'autres sauveteurs sillonnent toute la journée les quartiers atteints à la recherche de victimes.
Dans la matinée, l'artillerie des deux adversaires entre en action. Il en est de même en fin d'après-midi jusqu'à la nuit, des obus passent au-dessus de la ville. Quelques-uns y tombent.
Depuis hier la ville est sans électricité, le stock de charbon de la Centrale Électrique étant épuisé. De même, il n'y a plus d'eau, heureusement au bas de "la côte", des sources et des pompes chez des particuliers permettent de s'approvisionner après avoir attendu son tour un long moment... 

Vendredi 8 septembre 


La nuit du 7 au 8 est marquée par les tirs quasi ininterrompus de l'artillerie et par le temps qui est exécrable.
A 7 h. 15, les avions marqueurs balisent une nouvelle zone à bombarder s'étendant des hameaux du Croquet et du Tôt à Octeville, jusqu'aux Monts-Trottins à Fontaine-la-Mallet (zone indiquée d'après les coordonnées citées dans le rapport du 1st British Corps). 
Cette fois, les installations militaires, nids de résistance, emplacements d'artillerie, champs de mines sont les objectifs à atteindre. L'attaque dure une heure trente. Bien que situé en dehors des limites prévues, le village de Fontaine-la-Mallet reçoit une quantité importante de projectiles qui détruisent habitations, fermes, tuent et blessent de nombreuses personnes.
En début d'après midi, le monitor Erebus se place au large de l'estuaire et prend pour cible le Fort de Sainte-Adresse. Mais des obus atteignent aussi ses contreforts en ville basse, Sanvic, endommagent des habitations et font beaucoup de blessés parmi la population.
Dans le centre-ville, les pompiers doivent surveiller les ruines car malgré la pluie, des incendies ne sont pas totalement éteints et il faut éviter les risques de propagation.

Samedi 9 Septembre 1944

Au matin de ce jour, la pluie est toujours présente, parfois diluvienne. En conséquence, l'attaque aérienne qui devait frapper la zone comprise entre Fontaine-la-Mallet et le plateau d'Épremesnil est annulée (voir rapport du Bomber Command Diaries). Les avions qui n'ont pas rebroussé chemin s'en prennent aux batteries côtières. 
En ville, au Lycée, c'est toujours une allée et venue de sinistrés venant demander de l'aide, des secours, tout ce qui peut amener un mieux dans leur dénuement. 
N'étant plus achalandés, peu de commerces sont ouverts, quelques boulangers parviennent encore à servir des clients.
Les autorités allemandes font poser des affiches sur lesquelles elles disent avoir envoyé leurs condoléances au sous-préfet pour les victimes décédées par suite des attaques aériennes, mais ne s'en estiment pas responsables. Un nouvel ultimatum est d'ailleurs adressé au colonel Wildermuth dans la journée et est à nouveau refusé.
Vers midi, le ciel se dégage enfin depuis quatre jours puis le soleil paraît. Autour de la forteresse, les Alliés espèrent que cette amélioration durera jusqu'à l'assaut, le sol étant actuellement impraticable pour tous les blindés. L'artillerie anglaise tire toujours sur les défenses allemandes, des obus tombent en dehors des cibles, font des victimes civiles et des dégâts.
La population manque de tout, nourriture, eau, électricité, recherche ou enterre ses morts, anxieuse à l'idée de nouvelles hécatombes, confinée dans les abris souterrains surchargés, sans information sur ce qui se passe. Elle trouve bien long ce siège, et perd patience. 


Fontaine-la-Mallet, victime de la libération du Havre...
Le village après les combats, photographié de la route du Havre (actuelle avenue J.-Jaurès). De ce petit village, il ne reste que deux maisons debout et les ruines de l'église.



DIMANCHE 10 SEPTEMBRE 1944


C'est ce jour le début de l'attaque pour l'assaut final du Havre, codée opération " ASTONIA ".



Les blindés se lancent dans l'après midi à l'assaut de la forteresse... 


Au Havre et ses environs...


En ville, la nuit a été relativement calme, mais entre 4 h. 20 et sept heures, de nombreuses salves sont entendues. 
C'est aujourd'hui le jour choisi pour l'assaut du camp retranché. Le temps est magnifique. Toutes les positions allemandes vont être successivement attaquées afin de les détruire, tout au moins, de réduire leur efficacité. 
L'aviation, la marine, l'artillerie terrestre participent à ces opérations se partageant les objectifs (voir extraits du rapport du 1st British Corps p. 579). Elles dureront toute la journée. 
A 16 h. 15 débute le premier bombardement (codé Buick) suivi du deuxième (Alvis) précédant immédiatement l'attaque (voir zones des bombardements plan p. 561). Ils atteignent des cibles situées à Octeville, Bléville, Fontaine-la-Mallet, Rouelles et Montivilliers.. 
A 18 h. 40, c'est le troisième bombardement (Bentley) concernant des objectifs à Rouelles et au Havre à Aplemont, Caucriauville et l'extrémité Est de Graville.
Comme à Sainte-Adresse le matin, la périphérie des sites visés est malheureusement aussi atteinte par les projectiles, notamment Fontaine-la-Mallet situé au centre du cataclysme, Aplemont et Graville.
Le nombre des victimes et les ruines ne cessent de s'accroître. Partout, les sauveteurs se dévouent pour trouver des survivants. 

LUNDI 11 SEPTEMBRE 1944

Au Havre et ses environs...
La nuit est marquée par un grondement incessant, accompagné de tirs et d'explosions venant du Nord-Est. Bien que ne sachant rien de ce qui se passe, la population pense que tout ce fracas est l'annonce d'une libération proche. 
Les formations d'avions prévues pour le quatrième bombardement (Cadillac) arrivent à 7 h. 30. La superficie comprise entre le Palais des Régates (actuel) à Sainte-Adresse, le Grand-Hameau à Bléville et toute la côte incluse, doit être attaquée. A la vue des fusées de balisage, la population redoute à nouveau le pire. Mais, les troupes alliées ont progressé avec succès dans la nuit. Pour éviter d'être atteintes par erreur, elles indiquent leur position à l'aide de fusées. Les avions repartent, des bombes ont quand même été lâchées et ont touché à Sanvic : le "Splendide Cinéma", au n° 193 rue de la Cavée Verte ainsi que des maisons alentour (actuelle extrémité de la rue R.-Salengro sur la rue de la Cavée Verte) ; à Sainte-Adresse, plusieurs impacts sur le n° 27 rue de l'Église (actuel parc de la Roseraie, rue A.-Dubosc) ; le haut de la rue Bellevue ; les batteries du littoral. 
Des civils sont encore victimes de ces bombes...
Vifs le matin, les tirs d'artillerie sur la ville s'atténuent au cours de la journée permettant aux habitants de sortir pour aller chercher de la nourriture. En fin d'après-midi, les Havrais apprennent de bouche à oreille l'arrivée des troupes alliées place Sainte-Cécile, ceux qui le peuvent s'y précipitent pour voir leur "premier Anglais".
Les résistants sortent de la clandestinité. En équipe ou individuellement, ils guident les troupes et participent au nettoyage des nids de résistance, attaquent parfois des véhicules ou des soldats allemands. Les pilleurs sortent aussi, moins glorieusement, dévalisant les dépôts abandonnés par l'occupant. 
Le soir, accompagné de volontaires, le Maire porte de la nourriture qu'il avait fait cacher, aux réfugiés du tunnel Jenner, en passant, avec l'accord des Allemands, par la partie de l'ouvrage qu'ils avaient requis. 
Une partie de l'agglomération s'endort libérée, l'autre en espérant que demain marquera la fin des épreuves. Mais des personnes veillent, celles des services sanitaires soignant encore des blessés, des F.F.I. impatients d'agir aux côtés des troupes alliées.

MARDI 12 SEPTEMBRE

Le rush en ville et la Libération...

Les Alliés arrivent au Rond-Point...



Les combats du centre-ville terminés, les premiers chars quittent Le Havre en début d'après-midi pour un autre front. Ici rue A.-Briand, un char Churchill passe devant la Société Générale au n° 265. Peu de drapeaux aux fenêtres, mais rappelons-nous que beaucoup d'habitants ont quitté la ville et les havrais sont en deuil... 



Les combats à peine terminés, la plupart des troupes repartent, pour rejoindre les zones de rassemblement. En effet, les troupes britanniques sont bloquées devant Arnhem en Hollande et les renforts sont immédiatement nécessaires. Salués par des Havrais curieux, ces soldats marchent (à gauche !) rue A.-Briand face à la rue F.-Mazeline où se situe à l'angle, le "Bazar du Ménage" au n° 286.




Au carrefour des Quatre Chemins...
Profitant de l'arrêt d'une colonne de chenillettes, ces soldats se rafraîchissent au col de cygne d'un point d'eau improvisé, sous l'œil de quelques Havrais attendant leur tour. Les chaussures en bois de la jeune femme créent un contraste avec les bottes de l'homme à gauche.


Au Havre…


Après une nuit ponctuée de crépitements d'armes légères, d'explosions provoquées par les destructions du port, s'ajoute au matin le tir de l'artillerie et le vrombissement des engins blindés. Les troupes alliées reprennent leur progression. Qu'elles descendent de Frileuse ou qu'elles sortent des ruines de Graville, leur parcours vers le centre de la ville s'accompagne de l'apparition sur les maisons des drapeaux cachés depuis quatre ans et la présence des habitants le long des trottoirs pour accueillir les soldats. 
Oui, ils sont bien là ; nous sommes libérés ! Mais cette libération a été trop douloureuse et les acclamations manquent parfois d'enthousiasme, certains drapeaux portent même un crêpe noir. 
Toute la journée les F.F.I. se joignent, comme la veille, aux troupes alliées pour le nettoyage des nids de résistance en ville et sur le port. A dix-huit heures, après avoir franchi les décombres recouvrant les rues menant au monument aux Morts, un cortège composé des membres du Comité Local de Libération, d'officiers britanniques, du Maire et de son Conseil, parvient au monument pour une brève cérémonie : dépôt de gerbes, chant de la Marseillaise. 
De nombreux habitants les ont précédés dans ce décor dantesque d'un champ de ruines, d'où émerge, seul intact, le monument entouré de tombes provisoires. Le recueillement de la cérémonie est troublé par le passage d'un avion survolant la ville. Dans bien des esprits, la peur un instant pénètre, avant de réaliser qu'il n'y a plus rien à craindre, alors qu'une semaine auparavant, à la même heure, au même endroit...
Non loin, dans les décombres, les pompiers tentent d'éteindre des incendies qui subsistent. 


Monsieur P. Courant s'approche du monument devant l'impressionante foule recueillie pour laquelle ces moments sont inoubliables. En arrière du drapeau des Sauveteurs et Ambulanciers (sur lequel un crêpe noir est visible à la hampe), des policiers et des F.F.I. en arme assurent le piquet d'honneur.
Le sol est resté couvert de gravats projetés par les explosions. Seul un passage a été dégagé pour la cérémonie. Les ruines des Galeries du Havre, rappellent le lourd tribut payé par Le Havre à cette guerre. Les maisons incendiées à droite sont à l'angle des rues E.-Larue et V.-Hugo.




Le Havre libéré, mais à quel prix...


Au soir du 12 septembre, jour de libération, notre ville est en grand deuil. "Au terme de 2 042 sorties, les Alliés ont déversé 11 000 tonnes de bombes entre le 1er et le 12 septembre. 1 653 personnes ont trouvé la mort, 340 ont disparu. Les bombardements du 5 (781 morts - 289 disparus) et du 6 (655 morts - 10 disparus) sont les plus meurtriers" (1). La ville a perdu son âme, son cœur. 5 126 personnes ont trouvé la mort depuis 1940.
La cité est détruite à 80% : partout où l'on regarde règne une grande désolation. Les 117 bombardements effectués par l'aviation alliée au cours des quatre années de guerre, mais surtout ceux de juin et septembre 1944 aboutissent à des destructions gigantesques : 10 000 immeubles détruits, 2 500 doivent être abattus, 4 500 sont endommagés, 2 500 seulement sont intacts, environ 3 000 000 m3 de décombres sont à évacuer. 21 000 logements ont disparu sur 48 000 avant-guerre. 31 000 havrais sont sans toit, sinistrés totaux, 69 000 sont sinistrés partiels. 
"La quasi totalité des édifices publics sont détruits. Le Havre a perdu une grande partie de son patrimoine et de ses origines : l'Hôtel de Ville, le Palais de la Bourse, l'Hôtel des Postes, les églises Notre-Dame, Saint-Michel, Saint-Joseph, deux temples protestants, le Grand-Théâtre, les musées des Beaux-Arts et d'Histoire Naturelle, les Halles Centrales. De nombreux établissements scolaires sont touchés : sur 44 écoles primaires, 10 subsistent. L'hôpital Général et l'hôpital Pasteur ont subi d'importants dégâts. Trois cliniques sont anéanties"(1). Désormais, plus rien ne sera comme avant. Notre ville a le triste privilège d'être élevée au rang de ville martyre... 
"Le port est de plus inutilisable : plus de 320 épaves gisent dans les bassins et chenaux, les écluses sont très endommagées ou détruites, tous les ponts sont dans le même état, 17,5 km de quais (sur 22) sont détruits, les sept formes de radoub sont inutilisables et encombrées, les terre-pleins sont truffés d'entonnoirs et de blockhaus, les bâtiments de service n'existent plus, la plus grande partie des voies ferrées sont inutilisables. Les quatre gares maritimes sont rasées, plus de 50% des magasins publics sont en ruines, 180 000 m2 de hangars seulement sont réparables sur les 360 000 qui existaient avant-guerre. 
La digue Sud comporte une importante brèche, le canal de Tancarville est en communication avec la Seine par la destruction des portes d'écluses, les dispositifs de signalisation (dont le Sémaphore) n'existent plus ainsi que les moyens d'avitaillement des navires en eau et mazout. L'outillage de manutention comportait en 1939 : 285 engins de levage. L'ennemi a épargné seulement une grue flottante et les six portiques à bois du quai de la Gironde " (2). 

(1) Extraits de : "Les Victimes Civiles en Haute Normandie". CRHQ - IRED - M.-Dandel, G.-Duboc, A.-Kitts, E.-Lapersonne.-La Mandragone - 1997 ; (2) Extrait de : "Le port du Havre. Situation au lendemain de la guerre. Reconstruction. Perspectives d'avenir". Brochure P.A.H. - 1950. 


L'extrémité Ouest du bassin du Commerce. En arrière, les ruines du Grand Théâtre, tel un fantôme.


La rue P.-Faure vue au niveau de la rue J.-Janin. Tous les immeubles du côté Ouest sont détruits. 

Au fond à gauche, la Brasserie Alsacienne (actuelle résidence face à la " Brasserie Paillette ").



13 SEPTEMBRE


Le matin, les derniers soldats allemands sur le port ainsi qu'à Sainte-Adresse se rendent. Les sinistrés commencent à chercher un logement avec ou sans meubles, tandis que d'autres se risquent dans les ruines avec la vaine espérance de sauver quelques bribes de leurs biens.
De nouveaux volontaires viennent aider les équipes de sauveteurs dans la recherche des corps des victimes encore sous les décombres. 
Un journal paraît, le "Havre-Matin" mais n'aura qu'un seul numéro. Ce n'est que le 18 septembre que les "Informations Havraises" donneront chaque jour exclusivement des renseignements nécessaires à la reprise de la vie dans la cité. 
Au gré des marées, les pompiers combattent toujours des incendies. Ils interviendront longtemps encore après la libération aidés par des prisonniers allemands.

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